4 idées reçues sur le mouvement des jeunes pour le climat

Qu’avons nous à apprendre de ce mouvement décentralisé et horizontal ?

Anne-Laure Romanet
7 min readMay 12, 2019

Le mouvement Youth For Climate France — ces jeunes lycéen.ne.s et étudiant.e.s qui manifestent pour le climat, suite à l’appel de la militante suédoise Greta — illustre selon moi une nouvelle manière d’être et de faire ensemble dont nous “adultes” pouvons tirer des enseignements précieux.

En en parlant autour de moi, et en commençant à écouter ce qu’il s’en dit, j’ai entendu une myriades de préjugés au sujet de ce mouvement —dont quelques uns que j’ai souhaité creuser au travers de cet article.

Dans le cadre de l’Accélérateur de la Mobilisation Citoyenne que j’ai rejoint il y à quelques mois, j’ai en effet eu la chance de co-faciliter les premières “assises nationales” du mouvement (article dédié ici).

Celles-ci ont rassemblé à Nancy en avril dernier 130 lycéen.ne.s et étudiant.e.s venu.e.s des 4 coins du pays et envoyé.e.s par leurs groupes locaux pour se rencontrer, se former aux outils de mobilisation, et poser les premières pierres d’un “comment on s’organise (ou pas) pour mieux faire ensemble ?”

Entendu #1 : “c’est le bazar, ils ne sont pas structurés : pas de vision claire, pas de lignes rouges, pas de feuille de route, pas d’organigramme. Ca ne va pas marcher cette histoire! Pour être efficace, il faut se STRU-CTU-RER !”

En accompagnant ces jeunes — les initiateurs du mouvement d’une part dans la préparation de ces assises, et l’ensemble du groupe d’autre part durant le weekend — ces assertions étaient telles un bruit de fond permanent.

- “Il faut clarifier et uniformiser la raison d’être, les lignes rouges, vos positions sur la non violence et le nucléaire (extraits choisis), pour qu’on sache si on veut travailler avec vous et vous aider financièrement”, disent les autres associations écologistes et les fondations qui proposent de les soutenir.

- “Il vous faut des représentants élus et des porte-paroles, pour qu’on sache à qui s’adresser”, disent les médias et les politiques

-“Il faut qu’on se structure pour être efficace”, disent de nombreux jeunes à l’intérieur du mouvement

Cette obsession pour la structuration, c’est comme si le système en place ne supportait tout simplement pas l’idée d’un mouvement ne rentrant pas dans ses cases. Car en demandant “pourquoi”, ainsi que le “pourquoi du pourquoi”, et le “pourquoi du pourquoi du pourquoi”, nous arrivons finalement systématiquement à une réponse que j’énoncerai comme telle :

“Nos structures pyramidales ne savent pas comment interagir avec un mouvement décentralisé et horizontal, et ce serait donc mieux pour nous que vous vous adaptiez”

Oui mais voilà — pour ces jeunes, la question s’est finalement inversée : “et si la force de notre mouvement était justement d’être différent des autres, dans son organisation et sa structuration ?”

Car à l’origine, ces jeunes n’étaient pas structurés et pourtant ils ont été efficaces.

Au total, ce sont 1,6 millions de lycéen.e.s et étudiant.e.s qui se sont mobilisé.e.s dans le monde le 15 mars dernier, dont 200,000 en France, ce que les Greenpeace, Oxfam et autres Amis de la Terre, tout structurés qu’ils soient depuis les années 1990 n’étaient jamais parvenus à faire.

Autre exemple si nous prenons le mouvement “Extinction Rebellion” né au Royaume-Uni il y a un moins de 6 mois. Celui-ci ne possède aucune structure centrale, seulement une charte de revendications, un forum et un ensemble de groupes locaux indépendants et auto-organisés; au Royaume-Uni, il met déjà régulièrement dans la rue entre 4,000 et 6,000 personnes pour des actions massives de désobéissance civile.

Pendant ce temps, l’action historique de désobéissance civile “Bloquons la République des pollueurs”, organisée à La Défense par Greenpeace, ANV COP 21 et Les Amis de la Terre — trois associations piliers de la lutte écologique, avec plus de 20 ans d’existence et des centaines de salariés — a regroupé un total de 2,000 personnes.

Tout cela pour dire que cette équation “efficacité = structure” qu’on nous martèle depuis des décennies n’est peut-être pas si évidente que cela, et est peut-être à remettre en question.

Car c’est bien cette remise en question que nous propose le mouvement Youth For Climate France, dans son choix de conserver une structure minimale et de faire le pari de la décentralisation et de l’horizontalité : ouverture aux personnes et initiatives, transparence radicale, liberté et responsabilité de faire pour chacun —le tout dans une absence de contrôle qui certe entraîne parfois quelques ratés mais permet en parallèle un essaimage rapide et surtout une grande joie de faire ensemble.

Entendu #2 : ce sont des ados qui sautent juste sur une bonne occasion de transgresser les règles et sécher les cours, au nom d’une cause qu’ils ne comprennent pas”

Pour avoir eu la chance de passer du temps avec une bonne centaine de ces jeunes et d’avoir de réelles conversations avec nombre d’entre eux, je peux affirmer que malgré leur jeune âge — une moyenne autour de 17–18 ans :

  • Ils / elles ont sans aucun doute une compréhension très claire de l’urgence écologique pour laquelle ils / elles se mobilisent. Pour ces jeunes, l’équation est très simple : un réchauffement climatique au delà des 1,5°C signifie qu’ils / elles n’auront pas de futur sur cette planète ; or les actions actuelles des gouvernements ne sont pas suffisantes pour espérer rester en dessous de ce seuil. Se mobiliser pour exiger des réponses appropriées est donc pour eux / elles bien plus prioritaire qu’aller en cours.
  • Ils / elles ont par ailleurs une réelle conscience du rôle clé qu’ils / elles peuvent jouer à titre individuel en faisant entendre leurs voix et en sensibilisant leurs camarades, et à titre collectif en interpellant avec véhémence le monde adulte qui les ignore.

En fait, ce mouvement n’est rien d’autre qu’une somme d’humains qui ont compris qu’ils et elles avaient non seulement le droit de faire entendre leur voix, mais en avaient aussi le devoir — et se sont trouvés et organisés autour de cette conviction commune.

Me rappelant de mes propres années lycées, où ma conscience environnementale était au même niveau que ma maturité, c’est à dire proche de zéro, je ne peux m’empêcher d’être admirative de ces jeunes et de là où ils sont déjà.

La vraie question est peut être finalement celle-ci : que pouvons nous faire, nous adultes, pour être à la hauteur de ce qu’ils attendent, et mériter leur respect?

Entendu #3 : “les figures du mouvement sont des jeunes à l’égo démesuré qui souhaitent jouer aux petits chefs”

Ce mouvement a commencé par l’appel de Greta, une suédoise de 15 ans qui a annoncé qu’elle n’irait plus en cours les vendredi, et s’assiérait à la place avec sa pancarte sur les marches du parlement. Et cet acte a inspiré des centaines de milliers de jeunes partout dans le monde à faire de même.

En France, des groupes locaux se sont constitués de manière organique et ont commencé à agir dans leurs lycées et dans leurs villes ; lors d’une action commune, ils se se sont mis “en grève” le vendredi 15 mars.

Très vite, une “coordo nationale” s’est constituée en France et a abattu un travail impressionnant : mise en place d’outils de communication, création de ponts entre les groupes locaux, circulation de l’information, publication de communiqués de presse,…etc.

Mais cette “coordo nationale” a aussi très vite été décriée pour son manque de légitimité, n’ayant jamais été officiellement “élue” et s’étant créée sans process clair.

Consciente de cela, les membres de cette “coordo nationale” ont décidé de la dissoudre à la veille des “assises nationales” mi-avril : remettre tout à plat afin de co-construire sur des bases saines et transparentes avec le reste du mouvement.

Combien de fois avons nous vu une telle manière de procéder dans le monde associatif ou de l’entreprise ? Est-ce réellement fréquent que les “chefs” — ceux détenant un certain pouvoir — décident de remettre celui-ci au centre par simple conviction que cela serait mieux pour la solidité du groupe, et pour lui permettre de mieux servir sa cause ?

Ce que j’y ai vu, c’est finalement une réelle leçon de leadership. Quelle est la posture nécessaire à un tel acte ? Qu’est-ce qu’il manque aux “leaders” en haut des pyramides d’entreprises ou associations pour pouvoir agir de manière similaire ? Quel travail sur l’égo faut-il avoir fait pour y parvenir ?

Je n’ai pas l’ensembles des réponses, mais j’ai été témoin de ce travail sur l’égo auprès de certain.e.s des jeunes leaders de ce mouvement qui a consisté en deux grandes étapes :

- Explorer ce que cela signifie pour sa propre identité de ne plus détenir de pouvoir / statut particulier, et faire face à cette vulnérabilité en toute humilité

- Expérimenter le lâcher prise, et placer sa confiance dans la force et l’intelligence du collectif :

  • et si faire un pas en arrière signifiait laisser la place à ce que d’autres puissent faire un pas en avant ?
  • et si partager le pouvoir voulait aussi dire partager — et décupler — le pouvoir d’action?

Un ensemble de postures qui peuvent sembler assez loin de ce qu’on nous apprend depuis les bancs de l’école : être dans la compétition plus que dans la coopération, dans le contrôle plus que dans la confiance, dans le “je” plus que dans le “nous”.

Voir ces postures se manifester au moment précis où elles étaient nécessaires pour consolider le mouvement et pérenniser sa structure décentralisée & horizontale— cela n’est peut être pas le fruit du hasard. Ce type de mouvement passe probablement par une redéfinition de la notion de leadership, ainsi qu’un questionnement des postures nécessaires pour laisser la collaboration émerger.

Entendu #4 : “c’est impossible que quelque chose émerge d’un tel chaos, il faut leur imposer quelque chose”

Ces premières “assises nationales” ont donc débuté avec 130 participants venus d’autant de groupes locaux, sans organe de coordination ni structure de gouvernance, avec comme objectif de se mettre d’accord sur la suite.

Ayant accepté d’être facilitatrice de cette journée de discussions, j’y ai vécu ce qui aurait pu être mon pire cauchemar— un débat ouvert à 130 — et qui s’est finalement avéré être un très bon exemple d’intelligence collective.

Retrouver tout ce récit sur cet article dédié :-)

--

--